L'étau se resserre autour des peuples autochtones du Brésil

Juillet 2017, rives du fleuve Aiari, à la frontière entre Brésil et Colombie. Des entrepreneurs issus du secteur minier et des fonctionnaires du CPRM, l’institut géologique brésilien, pénètrent sur le territoire autochtone dénommé Alto Rio Negro, où vivent des communautés baniwa et koripako. Sans autorisation. Le motif de leur présence est un grand classique dans cette région du monde : prospecter et identifier les possibilités d’exploitation des ressources que recèle le sol de cette partie de l'Amazonie.

 

Or, l’entrée sur un territoire autochtone tel que défini par la législation brésilienne doit faire l’objet d’une consultation de la Funai, l’institut de protection des communautés indiennes, ainsi que des organismes de représentation des ethnies locales, tels que la FOIRN (fédération des organisations autochtones du Rio Negro). Dans une lettre datée du 6 juillet 2018, la FOIRN demande au Ministre de la Justice brésilien, au président de la FUNAI et au représentant du Ministère Public pour l’État d’Amazonas de s’opposer à cette violation de leurs droits, qui fait écho à des milliers d'autres situations similaires dans tout le bassin amazonien.

 

Face à cette opposition, le CPRM rétorque que la visite de ces professionnels n’avait aucun lien avec de potentiels projets miniers, qu’il s’agissait de simples relevés géologiques de routine et d’études techniques et scientifiques. C’était sans compter l’existence d’un enregistrement audio, dévoilant le contenu d’un échange entre des Baniwa et un employé du CPRM, au cours d’une réunion organisée sur le territoire. On y entend le fonctionnaire essayer de convaincre les membres de la communauté de travailler dans de futures exploitations : « La tantalite, l’or, la tourmaline, l’aigue-marine, le chrysobéryl, l’améthyste, tout ça a une valeur économique. Tout ça vaut de l’argent. Vous pouvez en ramasser et les vendre, ça vous rapportera de l’argent. L’or que vous tirerez d’ici, vous le vendez à São Gabriel[1] et vous gagnez de l’argent. »[2]

 

Ces propos ont occasionné des débats parfois houleux parmi les Baniwa, notamment au sein des communautés les plus fréquemment visitées par les prospecteurs, qui n’hésitent pas à insister. Certains sont ainsi tentés d’accepter la proposition d’Otávio Lacombe, patron de l’entreprise minière Gold Amazon, qui se présente comme « collaborateur des Indiens » et offre des sommes plutôt alléchantes au regard de ce que possèdent les populations locales. 

 

Près d’un an plus tard, c’est le journal Folha de S.Paulo qui révèle au grand public que l’un des instigateurs de ces prospections illégales, associé d’Otávio Lacombe, n’est autre qu’Elton Rohnelt, un conseiller du président Michel Temer… Comble du cynisme, ce dernier, se voyant opposer l’interdiction d’entreprendre tout projet minier sur un territoire autochtone sans l’aval du Congrès brésilien, rétorque qu’il « existe une brèche ». Comble du cynisme (bis), Lacombe, son principal acolyte, affirme lui qu’une telle proposition aux communautés autochtones n’a pour seul objectif que d’aider ces populations défavorisées, « abandonnées […] par la Funai ». Et d’ajouter : « L’Indien ne paie pas d’impôts, il vit d’aides sociales. Cela me fait beaucoup de peine. Je suis Brésilien, je tiens à les aider dans la mesure du possible, et dans la limite autorisée par la loi. »[3]

 

 

 

 

En dépit de ces révélations et des plaintes successives émanant d’organismes autochtones, tels que la FOIRN, les lignes n’ont guère bougé. Il faut dire que le gouvernement brésilien brille par sa passivité, y compris face à des événements plus dramatiques encore. C’est ainsi que, le 12 septembre 2017, la FOIRN publie un communiqué dans lequel elle condamne le massacre de tribus dites « isolées », c’est-à-dire coupées de tout contact avec la société nationale et d’autres groupes autochtones. Ainsi, dans la vallée du Javari, à l’extrême occident de l’État d’Amazonas, des populations amérindiennes sont tuées par des orpailleurs, braconniers et autres occupants illégaux de leur lieu de vie. Lorsqu’elles ne sont pas tuées sans autre forme de procès, ces communautés subissent menaces, expulsions, harcèlement et pillages, dans l’impunité la plus totale.


En matière de défense des droits des populations autochtones, la Funai est l’organisation de référence. Créée en 1967 pour remplacer l’ancien organisme de protection des Amérindiens, le SPI (Serviço de Proteção aos Índios), dont la mission consistait avant tout à accélérer leur assimilation à la culture occidentale, elle se veut garante du respect des droits des premiers habitants du continent. L’une de ses divisions est précisément consacrée à la protection des tribus isolées, seule entité gouvernementale au monde affichant cette ambition. Hélas, en 2017, la donne a quelque peu changé, avec la nomination d’un nouveau président de la Funai par le gouvernement Temer, en la personne du général Franklimberg Freitas. L’arrivée de ce haut gradé de l’armée, premier non-civil élu à la tête de cette institution depuis 25 ans, rencontre immédiatement une vive opposition de la part des organisations autochtones et des défenseurs des droits de l’homme au Brésil.

 

Et pour cause. Outre les nombreuses pressions dont elle fait l’objet de la part d’un groupe de députés appelés « ruralistes », qui n’ont à l’esprit et à la bouche que la croissance économique du pays et clament sans scrupules que les territoires autochtones devraient être remplacés par des exploitations minières et agricoles intensives, la Funai voit sa marge de liberté de plus en plus réduite. C’est ainsi qu’Antonio Costa, son précédent président récemment remercié, déclare que les Brésiliens doivent impérativement « se réveiller » face à un gouvernement qui ne recule clairement devant rien. Il raconte notamment les pressions auxquelles il a fait face avant son licenciement, dans le but d’influencer son choix de candidats à des postes clés. Bien entendu, les candidats soutenus ne présentaient aucune expérience des questions autochtones. L’un des courriers reçus par la Funai pour tenter d’« orienter » la sélection d'un d'entre eux émanait de Luis Carlos Heinze, député de l’État du Rio Grande do Sul, un politicien surpris par une caméra à traiter les Amérindiens, les homosexuels et les populations afro-brésiliennes de « bouches inutiles »[4]

De fait, depuis l’arrivée de Michel Temer au gouvernement, les violences envers les communautés les plus vulnérables se multiplient. La Funai, qui avait déjà subi des coupes budgétaires successives, est de plus en plus impuissante à venir en aide à ceux qu’elle est censée protéger. Galvanisés par les discours racistes éhontés de nombreux politiciens, notamment des députés ruralistes, ou encore de l’actuel favori aux élections présidentielles de 2018, Jair Bolsonaro, célèbre pour ses positions d’extrême-droite, des fermiers ou des hommes à la solde de lobbies industrialo-agricoles attaquent des villages au couteau, à la machette, au fusil. Aujourd’hui, les statistiques dévoilent un pourcentage excessif d’hommes amérindiens dans les services d’urgence des hôpitaux, mais également dans les morgues… De nombreux leaders autochtones déplorent que toutes les mesures de protection des territoires lentement mises en place au fil des décennies soient peu à peu défaites par le gouvernement Temer, dont l’objectif sous-jacent semble consister à se débarrasser des empêcheurs de croître en rond que sont les peuples autochtones du Brésil et l’appareil juridique censé les défendre.

 

À l’autre extrémité de l’échelle de valeurs, d’autres initiatives voient le jour. Notamment les « cordons de sécurité » autour des territoires sur lesquels des tribus isolées ont été aperçues, formés par des hommes issus d’autres communautés amérindiennes souhaitant protéger leurs « frères isolés ». Conscients de la violence engendrée par la société extérieure, d’une part, mais également du danger que représente pour ces ethnies un contact avec le moindre virus exogène, susceptible de décimer des peuples entiers en quelques mois, ces hommes se relaient pour pallier les carences d’un État qui n’est plus, aujourd’hui, simplement démissionnaire, mais complice des atrocités perpétrées sur son sol.

 

 

Lila Akal

[1] São Gabriel da Cachoeira, ville brésilienne proche de la frontière colombienne, dans l’État d’Amazonas. 

[2] ISA (Instituto Socioambiental), « MPF exige esclarecimentos sobre assédio de mineradores na Terra Indígena do Alto Rio Negro », publié le 16 juillet 2018. 

[3] Folha de S.Paulo, « Assessor de Temer tenta explorar minério raro em terra indígena », publié le 24 juin 2018. 

[4] The Sydney Morning Herald, « Brazilian government accused of defying Constitution with anti-indigenous stance », publié le 16 mai 2017.